Le plus dur n'est pas la chute... c'est l'atterrissage !

Quelle journée éprouvante ce fut ! J'ai peine à croire qu'elle s'achève enfin. Je suis si fourbu et courbaturé qu'il m'est difficile de griffonner convenablement ces quelques mots. Et non, pour une fois, ça n'est pas à cause de l'alcool. Il a bien fallu que je sois raisonnable à ce niveau là, les liqueurs de cette Auberge Abandonnée étant exécrables. Je ne suis pourtant pas difficile... Bref, ça n'est pas une gargote que je recommanderais à un ami, pour sûr ! Le service laisse à désirer, je me sens nauséeux du repas qu'on m'a présenté et je soupçonne ma paillasse d'être infestée de puces... Ne vous demandez pas d'où vient mon humeur massacrante.

M'enfin... Faute de mieux, autant s'en accommoder. Le lieu a au moins le mérite d'être exempt de créatures maléfiques (quoique... je soupçonne la serveuse d'avoir des origines gobelines tant elle est teigneuse... A moins qu'elle ne soit parente avec Jeh ?). Toujours est-il que nous avons décidé d'y faire halte plus tôt dans la journée, Laianna Hiril et moi-même, suite à quelques échauffourées avec les gobelins et les ouargues de Minas Eriol. Après la déculottée qu'on leur a mise, ce moment de répit était le bienvenu.

Cette taverne n'étant pas un lieu idyllique, nous ne nous y sommes pas attardés plus que nécessaire. Juste le temps de descendre une chope ou deux et nous voilà déjà repartis au-devant de nouvelles aventures.

Au détour d'un camp ennemi, nous sommes tombés sur une humaine plutôt mal en point. Heureusement pour celle-ci, elle vient de rencontrer les deux plus grands héros des Terres Solitaires ! (Enfin, grands... disons surtout Dame Laianna). Je me demande encore comment la malheureuse a survécu, bloquée tout ce temps sans alcool sous la main ! Bref, la donzelle a besoin d'une escorte pour quitter cet endroit et nous relevons le défi sans hésiter.

Blessée, elle nous a dit qu'elle était ? Je la trouve bien prompte à foncer tête baissée vers les hordes ennemies pour une estropiée ! Ni une ni deux, je vide ma gourde d'un trait avant de me lancer dans la bataille. Laianna a déjà abattu plusieurs adversaires de ses flèches et se jette dans la mêlée. Ils sont nombreux mais pas très malins. Nous leur faisons mordre la poussière, taillant vaillamment notre chemin dans la chair de gobelin. L'alcool et l'adrénaline me montent à la tête, je ne tiens plus en place. Fort heureusement, nous sommes presque arrivés à destination. J'aperçois déjà notre liberté au-delà d'un pont étroit enjambant une gorge rocailleuse qu'il nous suffit de traverser.

Traverser... C'est un bien grand mot ! J'ai la tête qui tourne et je titube plus que je ne marche droit... C'est alors que le sol se dérobe sous mes bottes et que je dégringole dans le vide avant de comprendre ce qu'il m'arrive ! Pendant de longues secondes, j'appréhende le moment où je vais toucher le sol... Et VLAN ! Je m'écrase comme une crêpe, le souffle coupé par l'impact et des lucioles tourbillonnant devant les yeux. Je reste ainsi, étendu sur le dos, le temps de reprendre mes esprits. Le visage de Laianna apparaît plusieurs mètres au-dessus de moi. Inquiète, elle me demande si tout va bien. Une chance que mon armure ait amorti le choc ! Je la rassure et lui enjoins de veiller sur l'humaine toute seule le temps pour moi de trouver un moyen de les rejoindre. Une chute... y'a pas mieux pour faire passer la gueule de bois, parole de nain ! Je me relève tant bien que mal en beuglant tous les jurons que je connaisse. Foutus architectes ! C'est pourtant pas compliqué de mettre des garde-fous quand on construit un pont ! J'suis quand même pas le premier gaillard avec un coup dans l'nez qui le traverse, si ?

Les deux femmes sont hors de vue, mais j'entends d'ici le fracas des combats. Il semblerait que notre protégée n'ait pas attendu l'elfe pour s'attirer les foudres de tout un campement gobelin. La tâche ne va pas être aisée pour Laianna de garder en vie l'insouciante ! Il faut que je me hâte.

Après m'être assuré de l'état de mes armes, je jette un coup d'œil alentour pour avoir une meilleure idée du lieu où j'ai atterri. Il fait sombre dans la gorge, mais j'entrevois des filaments pâles qui recouvrent les ruines d'antiques monuments núménoréens. Par la barbe de Durin, ce sont des toiles d'araignées ! Et mes vociférations ont réveillé les habitantes gigantesques des environs, qui crapahutent à une vitesse ahurissante dans ma direction ! J'ai juste le temps de placer mon bouclier avant que les crochets suintants de la première n'atteignent mon épaule, puis je plonge profondément ma hache entre ses multiples yeux. Le monstre a beau être mort, ses huit membres ne cessent pas de frétiller pour autant. Je n'ai pas le temps d'admirer son agonie, il faut que je me carapate illico si je ne veux pas finir dans l'abdomen hideux de ses sœurs.

Quel sombre crétin je fais ! Je n'ai pas trouvé mieux que de tomber tout au fond de leur nid ! Au prix de nombreux efforts, je progresse lentement vers la sortie de cet enfer, écrasant et tailladant autant de ces horreurs que je le peux sur mon passage.

Quand je parviens finalement à mettre assez de distance avec les arachnides, je suis éreinté, crasseux et mon armure est en piteux état. C'est alors que je tombe nez à nez avec Laianna qui arrive en sens opposé, toute essoufflée. Elle m'explique pantelante que l'humaine est sauvée. Avisant du piètre état dans lequel nous sommes, il nous est impossible de retenir nos éclats de rire.